LA COMPTINE DU CLUB DES THÉS
Appartement deux-pièces sous les toits.
Cinq vieilles dames sont attablées autour d'une table en bois avec nappe, tasses de thé et FIP radio. Elles jouent à un jeu de société. Une sixième est assise dans une alcôve au fond de la pièce qui semble être les toilettes. Elle est obèse et en bouche intégralement l'espace.
À votre arrivée, toutes vous sourient, agitent les mains et leurs cuiller sauf la sixième et commencent à chanter.


en choeur : Bienvenue !
Nous sommes ravies de vous accueillir à table
Voici une chaise, une tasse, une cuiller
Prenez vos aises, passez vos affaires
— du thé, du café ? Oubliez vos soucis
Par ici dans le thé ils fondent comme des biscuits
Écoutez, soyez ouïe
Nous allons en guise d'entrée
Vous chanter la comptine du Club des Thés

Le matin — pas de pain — une tar-te-lette
À dix heures, chandeleur, on cuit des crêpes
Le midi vous êtes servis : trois tar-te-lettes
Au café, pour changer, une tar-te-lette
Au goûter on a la dose, on prend une petite pause
Et le soir, au dîner, une tar-te-lette
- à l'orannnnnn — gécoutez, dégustez, la chan-so-nnette
Et goûtez, soyez fous, aux biscuits, aux sablés,
Aux pâ-ti-sseries, il suffit, pour le goût
De tremper le tout...

— Dans ton bol de théé !
— Avec tes deux doigts !
— Pour ne pas te brûler !
— Et respecter nos lois !

Ta tasse doit reposer sur un napperon de dentelle
Les biscuits non trempés à plats dans une coupelle
Si des miettes, d'aventure, tu laisses tout à coup choir,
Tu collectes pour la panure les brisures dans un mouchoir
Si toutefois les morceaux sont trop gros pour être panés
Tu te penches, tu donnes au chat, c'est notre dépotoir
Vois comme il est beau, touches comme il est gras
Il est pimpant comme ici tout le monde autour de toi
C'est grâce à notre régime, c'est la cause de notre comptine,
La routine au sein du Club n'existe pas
Tartelettes, chocolatines, on varie nos repas
Tu le sais on l'a chanté, c'est exactement par là
Que débute la comptine, qui continue comme ça :

Le matin — pas de pain — une tar-te-lette
À dix heures, chandeleur, on cuit des crêpes
Le midi vous êtes servis : trois tar-te-lettes
Au café, pour changer, une tar-te-lette
Au goûter on a la dose, on prend une petite pause
Et le soir, au dîner, une tar-te-lette
- à a fraiiiiiii — zécoutez, dégustez, la chan-so-nnette
Et goûtez, soyez fous, aux biscuits, aux sablés,
Aux vie-nnoi-series, il suffit, pour le goût
De tremper le tout...

— Ah non pas cette fois !
— L'histoire de Louise maintenant !
— Prends une langue de chat
— Et observe là-bas :

Elles montrent du doigt de concert la vieille obèse
qui dépasse du coin toilettes. L'obèse entonne
d'une voix grave :


Monsieur Cohl, mon mari, habitait avec nous
Un homme drôle, bon gentil, il portait des bijoux,
Un jour de grande colère je l'ai gobé tout cru
Sans penser à la galère qui me tomberait dessus.
Sa peau était rigide, je ne l'ai pas digéré,
Le pauvre reste visible, assis dans ma trachée
La tête en bas, coincé entre mes fesses
Il menace de sortir par mes quartiers de noblesse
Alors, pour l'obliger à ne jamais s'enfuir
Je vise les WC et pense à l'avenir
Pour moi thé, tartelettes, crèpes suzettes et biscuits
Sont le cocktail de fête qui mènent au Paradis
Tu le sais on l'a chanté, on l'a dit on l'a redit
Ces bouchées nous enchantent de lundi à vendredi :

Le matin — pas de pain — une tar-te-lette
À dix heures, chandeleur, on cuit des crêpes
Le midi vous êtes servis : trois tar-te-lettes
Au café, pour changer, une tar-te-lette
Au goûter on a la dose, on prend une petite pause
Et le soir, au dîner, une tar-te-lette
- à la rhubaaaaar — battendez ne partez pas, dégustez une dernière fois, la chan-so-nnette
Écoutez, jusqu'au bout, notre hymne à la joie
Retrempez votre biscuit, léchez-vous bien les doigts
Le meilleur reste à venir, l'avenir sous notre toit...

— Ton infusion est prête !
— Mais ne te brûle pas le palais !
— Assiste, allons, au dernier couplet !

Vois comme nous sommes belles, loue le Club fringant !
Lis notre ritournelle comme une ode au poids des ans !
Les années nous ronge, nous plombent, nous puons des pieds
Louise sue et gonfle dans un cinq mètres carrés
Nos chats ronflent par terre et rêvent de pâtée
Pourtant les miettes donnent une neige à leur pelage
Louise sur son trône mène un empire sans partage
Et l'âge n'a plus les armes pour nous ôter les charmes
De la vie. Tartelettes, tasses à thé, banoffees
De l'avis des starlettes rendent fat et bouffi ?
— Fi ! Le Club n'a que faire des pin-ups des grabataires
Filles-ficelles et vieux branchés valent un coulis de framboise
Ils sont bons pour le topping et pour saler l'ardoise
Nos artères avant les leurs chanteront toutes en cœur
Les couleurs d'une nécrose par overdose de bonheur !

Tu peux rire, tu peux croire nous voir pourrir
Dans un appart' sans jour, sans joie et sans thune ;
Ce serait dire que richesse égale bonne fortune...
Car la vie, mon petit, prend son goût dans les bocaux
C'est comme les fruits confits ; au dedans, il fait beau
Un croissant, le dimanche, nous donne sa demi-lune
La pâte sablée au four a la douceur des dunes
Dans nos têtes, le soleil chauffe entre nos deux oreilles
Le désert de nos vies vaut une tarte de merveilles...
Bois ton thé, ressert-toi, reste donc pour le repas
La déprime au sein du Club ça n'existe pas
Tartelettes, chocolatines, amandines, tarte tatin
Tu le sais on l'a chanté, c'est aux rimes de ce refrain
Que débute la comptine, qui termine ; c'est la fin.


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philippecedric@protonmail.com





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